Autrice : Allison Myatt, Agente principale de l’environnement, Aménagement de la capitale
Je suis arrivée à Ottawa il y a plusieurs années, alors que je n’y avais mis les pieds qu’une seule fois, quand j’étais enfant, pour aller patiner sur le canal Rideau. Étant une coureuse passionnée, ma priorité comme nouvelle ottavienne était de trouver des sentiers où courir qui me permettraient de découvrir différents secteurs de la ville. C’est durant une de ces sorties que je suis tombée sur l’île Victoria, un trésor caché du centre-ville. Je me suis arrêtée pour tout absorber : rives sauvages, bâtiments historiques, racines autochtones et vues panoramiques.
En déambulant sur l’île, j’ai constaté que son utilisation industrielle passée avait laissé certains secteurs en bien mauvais état. Mais d’après ce que j’en voyais, l’endroit recelait un potentiel énorme.
Donc, quand le dossier environnemental de l’île Victoria a atterri sur mon bureau, j’étais prête à relever le défi de contribuer à en restaurer la beauté naturelle, et de permettre ainsi aux visiteurs de visiter les lieux en toute sécurité, et à réfléchir au paysage physique et culturel incroyable du secteur. Comment? En retirant de l’île la plupart des vestiges nuisibles issus de son passé industriel : sol contaminé, débris et, oui, oui, bouteilles de gaz potentiellement dangereuses.
Par où commencer
Tout a commencé en 2018 quand les conditions environnementales de l’île ont été réévaluées. L’île Victoria était un site contaminé connu, et même s’il avait été déterminé auparavant que les niveaux de contamination étaient acceptables pour l’usage des lieux, de nouveaux tests ont révélé que certains secteurs étaient plus contaminés que ce qu’indiquaient les données relevées à l’origine.
Compte tenu de ces nouvelles données, les conclusions de la première étude n’étaient plus valables, et des mesures d’intervention devaient être prises sur-le-champ. En peu de temps, des parties de l’île ont été recouvertes, et des clôtures ont été installées afin d’empêcher les gens d’accéder à certaines zones. Puis, l’île a été entièrement fermée au public avant la fin de l’année. Place au nettoyage!
Assainir l’environnement n’est pas tâche facile. Et dans le cadre de ce projet, tous les aspects complexes imaginables étaient de la partie : pentes raides, câbles de services publics entremêlés, y compris des lignes à haute tension, amiante, bouteilles de gaz enterrées, ressources archéologiques et patrimoniales, et bien sûr, ententes juridiques.
Laisser aller
Les premiers travaux ont été réalisés dans le ravin situé du côté sud de l’île. Devenu très abrupt et étroit, ce ravin n’avait pas toujours eu cet aspect.
Dans les années 1830, il a été transformé en glissoir à bois permettant aux travailleurs de l’industrie de contourner la chute des Chaudières de la rivière des Outaouais pour faire descendre le bois en aval. De 1906 à 1980, différentes industries se sont installées sur l’île, puis en sont reparties, et à mesure que l’utilisation du glissoir a diminué, les installations industrielles se sont graduellement transformées en débris et en déchets qui ont rempli le ravin et contaminé le sol.
Donc, quel était notre plan? Il consistait à retirer tous les débris et le sol afin de ramener à la surface la fondation rocheuse originale du glissoir. Au bout du compte, plus de 13 000 tonnes métriques de sol contaminé et de débris ont ainsi été enlevées. En raison des niveaux de contamination du sol, celui-ci n’a pas pu être réutilisé ailleurs; il a dû être entièrement transporté dans un site d’enfouissement en tant que déchet contaminé.
Aujourd’hui, l’apparence du ravin est complètement différente, et celui-ci ressemble davantage au glissoir original des années 1800. Même si le caisson de bois d’origine du glissoir n’y est plus, un glissoir hydraulique des années 1970 est toujours dans le ravin et rappelle la place importante de l’île dans l’industrie du bois de la région.
Surprise!
La description que j’ai faite jusqu’à maintenant des travaux d’assainissement les a peut-être fait sembler un peu trop faciles. Alors, pas si vite…
Tandis que nous nous préparions aux travaux, une surprise nous attendait dans le sol de l’île : des bouteilles de gaz comprimé. Nous avons découvert qu’un fabricant et distributeur d’acétylène avait occupé les lieux du début des années 1900 jusqu’en 1966. Durant cette période, près de 1 000 de ces bouteilles ont été enterrées, soit sous le plancher de béton de l’un des bâtiments, soit dans le sol à l’extérieur. Bien que la plupart des bouteilles étaient inertes (sans compression), bon nombre d’entre elles contenaient toujours du gaz. L’acétylène est un gaz très inflammable et chimiquement instable, ce qui signifie qu’une petite fuite peut entraîner une ignition et une explosion. Les bouteilles étaient en mauvais état et s’étaient détériorées, donc elles constituaient un réel danger.
La situation était tellement exceptionnelle que nous avons dû demander l’aide de spécialistes. Une équipe de professionnels possédant une expérience des risques chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires et explosifs a donc été embauchée pour le projet. Équipés de combinaisons spéciales en fibre de carbone et de masques respiratoires intégraux, ils ont pu gérer cette dangereuse situation de manière sécuritaire.
Des déchets aux trésors
Qu’avons-nous trouvé d’autre? Dès le début du projet, nous savions que nous allions trouver des ressources archéologiques. Combien et quelle était leur importance? Nous ne le savions pas, mais nous étions prêts.
Sous l’œil expert de Ian Badgley, archéologue de la CCN, les entrepreneurs ont reçu de la formation sur les ressources archéologiques qu’ils pouvaient trouver sur les lieux, et ils ont joué un rôle actif dans la récupération de ces ressources. En effectuant soigneusement l’excavation, ils ont été en mesure de retirer des bouteilles de verre, des carafes, des lames de scie et des fers à cheval en une seule pièce, et même une selle de bicyclette et une porte de chaudière.
Une des plus belles trouvailles est une bouteille d’eau parfumée de marque Florida Water (semblable à de l’eau de Cologne), datant du 19e siècle. Fabriqué à Toronto, ce produit n’a été sur le marché que quelques années seulement.
La suite
Le nettoyage de l’île devrait se poursuivre jusqu’en 2025. Pour ce faire, nous faisons appel à une équipe de spécialistes : ingénieurs civils, de structures, en géologie et en environnement; biologistes; archéologues et expert en patrimoine; spécialistes en matière dangereuses et en hygiène industrielle; spécialistes des affaires juridiques; gestionnaires de terrains; et architectes paysagers. Nous faisons aussi des efforts pour faire participer la Nation algonquine au projet. Chacun a un rôle important à jouer.
La prochaine phase du projet portera sur la section nord du glissoir à bois (phase 2). Les défis y seront différents, mais nous nous attendons à ce qu’ils soient tout aussi complexes. Une fois cette phase terminée, nous nous déplacerons du côté est de l’île (phase 3) et terminerons les travaux avant de rouvrir les lieux au public.
Vous vous demandez peut-être quel sera l’avenir de l’île? Eh bien, dans le cadre des travaux d’assainissement, nous aménagerons les terrains de manière à faciliter la mise en œuvre de la vision future de l’île. Certaines zones auront la même apparence, alors que d’autres changeront complètement. L’ensemble du projet fait partie d’une initiative plus vaste. En effet, la CCN s’est engagée à élaborer un plan directeur pour l’île, en partenariat avec la Nation algonquine anishinabée. Toutefois, d’ici à ce qu’on élabore une vision et la mette en œuvre, les lieux seront accessibles au public pour qu’il puisse en profiter.
Les deux dernières années ont été mouvementées, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est un privilège pour moi de faire partie d’une équipe si intéressante, travaillant à un projet si important, et j’ai très hâte à la prochaine phase du projet.
Quand les travaux seront terminés et que l’île sera rouverte au public, j’espère que notre volonté de mettre en balance les exigences d’aujourd’hui en matière d’assainissement et la préservation du passé de l’île sera visible et qu’on sera en mesure d’apprécier la complexité des travaux réalisés.
Pour ma part, je sais que mes parcours de course me mèneront sur les rives de l’île Victoria, où je pourrai prendre une pause et réfléchir à ce qui deviendra sans doute un exemple de paysage physique et culturel du centre-ville d’Ottawa dont on pourra être fier.